Que signifie concrètement le TTIP pour les travailleurs ?

 

La prise de conscience publique croissante autour du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), accord de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis négocié à huis-clos, n’a d’égal que l’inquiétude grandissante quant à son impact potentiel.

Outre les doutes concernant les bienfaits économiques supposés de ce traité, l’inquiétude affleure parmi les syndicats et les organisations de la société civile quant aux implications réelles du TIPP pour les travailleurs des deux côtés de l’Atlantique.

Les négociations sur ce traité ont démarré en juillet dernier. La Commission européenne affirme que l’initiative favorisera la croissance économique et la création d’emplois. Une des statistiques les plus fréquemment citées issue d’une étude commanditée par la Commission l’année passée est que grâce à ce traité, le PIB réel de l’Europe pourrait croître de 0,5% à l’horizon 2027.

Cette assertion a, cependant, été rejetée par des chercheurs indépendants, qui la qualifient de « fallacieuse ».

En cas d’adoption, ce traité, actuellement à l’état de projet, aurait des « retombées énormes » pour les travailleurs, notamment aux plans de la politique de l’emploi, de la sécurité sociale, de la protection de l’environnement, de la santé et de la sécurité des travailleurs et de la protection des droits des minorités, selon la Confédération européenne des syndicats (CES).

 

ISDS

L’inclusion probable dans le TTIP d’un train de mesures controversées qui accorderaient aux grandes entreprises la possibilité de poursuivre en justice des gouvernements nationaux devant des tribunaux offshore secrets soulève des inquiétudes particulières.

Dans le cadre de traités similaires au niveau mondial, ces mécanismes de règlement des différends État-investisseurs (ISDS) ont d’ores et déjà été exploités, non sans succès, par des entreprises pour poursuivre des gouvernements dans des cas où elles estimaient ne pas avoir bénéficié d’un traitement « juste et équitable ».

Pour ses détracteurs, l’inclusion dans le TTIP de telles clauses permettrait aux entreprises multinationales d’attaquer en justice les gouvernements de pays membres de l’UE à chaque fois qu’une modification de la législation nationale priverait de quelque façon que ce soit une société du « droit de faire du profit » - et cela inclut les normes du travail.

Dans un cas récent, l’Égypte a été poursuivie par la multinationale française Veolia pour avoir augmenté le salaire minimum.

« La légitimité du mécanisme non redevable qu’est l’ISDS a maintes fois été remise en cause », affirme Bert Schouwenburg, responsable du département international du syndicat britannique GMB.

« Et ce parce qu’il ôte aux pays membres le pouvoir de décider ce qui doit rester dans le secteur public et attribue ce pouvoir à des entreprises non élues et non redevables. »

C’est, selon Schouwenbourg, quelque chose qu’il faut empêcher à tout prix.

« Les scandales d’évasion fiscale nous ont permis de voir ce que ces entreprises font quand on leur lâche la bride. »

Il a signalé que les audiences dans des cas litigieux de ce type se déroulent généralement en secret et sont « arbitrées par un groupe relativement restreint d’avocats spécialisés n’ayant aucun compte à rendre et dont l’impartialité a été mise en cause ».

Et d’ajouter que les gouvernements de pays signataires de traités qui intègrent ce mécanisme se sont vus confronter à des demandes de dommages et intérêts à hauteur de 70 milliards de livres sterling (environ 116 milliards de dollars US) et d’indemnités à hauteur d’un milliard de livres sterling (environ 1,6 milliard de dollars US).

Tom Jenkins, conseiller principal à la CES, a déclaré à Equal Times : « L’ISDS figure certainement au nombre de nos préoccupations. L’un des points les plus importants à nos yeux est que les entreprises ne devraient pas pouvoir remettre en cause des décisions démocratiques. »

Jenkins a expliqué que suite aux pressions des organisations de la société civile, la Commission a consenti à une consultation sur l’ISDS qui a débuté ce mois-ci.

 

Emplois et croissance ?

La CES et d’autres syndicats s’interrogent, par ailleurs sur la crédibilité des assertions faites par la Commission européenne quant à l’impact du nouveau traité sur l’emploi et la croissance.

« L’ouverture des échanges commerciaux peut créer de l’emploi, cependant nous craignons que les études sur lesquelles est fondée l’évaluation du TTIP par la Commission européenne soient sujettes à caution », a affirmé Jenkins.

Certains groupes d’action ont rejeté en bloc l’évaluation de la Commission européenne.

« Les chiffres avancés par la Commission européenne à l’appui de ses assertions de croissance économique ont déjà fait l’objet de maintes évaluations critiques et il s’avère que ce n’est que du vent », a dit Olivier Hoedeman, coordinateur des recherches et des campagnes à l’Observatoire de l’Europe industrielle (Corporate Europe Observatory).

« C’est vraiment de la propagande. Malheureusement, ces données sont prises très au sérieux », a-t-il poursuivi.

« On serait tenté d’y croire quand on nous dit qu’un accord commercial va miraculeusement créer plein de nouveaux emplois et un tas de revenus mais la triste réalité c’est que ces assertions manquent cruellement de substance. »

Selon John Hilary, directeur exécutif de l’organisation de bienfaisance britannique War on Want, ce traité pourrait en réalité conduire à des « pertes massives d’emplois  ».

« Dans sa propre évaluation de l’impact au mois de mars de l’année dernière, la Commission européenne a très clairement laissé entendre qu’elle reconnaissait qu’il fallait s’attendre à « des bouleversements prolongés et substantiels au plan de l’emploi sous le TTIP » », a-t-il indiqué.

« Ainsi, les gens vont perdre leurs emplois dans un secteur même s’il n’y a pas nécessairement d’emplois dans un autre secteur. »

« Et quand bien même il s’avérerait profitable pour les grandes corporations, les accords de libre-échange de ce genre se sont toujours accompagnés de pertes massives d’emplois. »

Hilary a cité l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) entre le Mexique, le Canada et les États-Unis comme l’exemple parfait.

« Une étude réalisée en 2006, soit 12 ans après l’introduction de l’ALENA, et qui reste l’une des principales études en son genre, conclut en substance que les syndicats américains ont été gavés de fausses promesses.

« Au lieu de créer des milliers de nouveaux emplois, on a assisté à une perte nette de plus d’un million d’emplois aux États-Unis », a-t-il dit.

« Entre temps, la grande promesse claironnée aux syndicats mexicains était que même s’il nuit aux Américains, il profitera énormément au Mexique. Mais ce qui devait arriver arriva et près de deux millions d’emplois ont été perdus dans l’agriculture de subsistance au Mexique sous l’effet de la concurrence du colosse agroindustriel du Midwest américain », poursuit-il.

« L’idée qu’il puisse exister ici une équation à somme positive ou même nulle – que quelqu’un sortira perdant mais que d’autres sortiront gagnants – est tout simplement fausse. »

 

Violations des droits des travailleurs

La CES a exprimé ses préoccupations face à ce qu’elle décrit comme des « violations des droits fondamentaux  » aux États-Unis, « notamment du droit d’organiser et de négocier collectivement et ce, particulièrement mais pas exclusivement, dans les États soumis au Right-to-Work (droit de travailler) ».

En plus de nuire aux syndicats, explique Hilary, les normes relativement faibles en matière d’emploi dans les 24 États de l’Union qui ont adopté des lois relevant du « Right-to-Work » pourraient comporter des implications plus larges.

« Comme nous savons, les coûts de main-d’œuvre dans ces États sont plus faibles, les gens perçoivent nettement moins en termes de salaires, de droits de retraite et autres prestations sociales comme les soins de santé, ce qui réduit sensiblement le coût de revient des entreprises et on se retrouve donc face à une situation où des commerçants de ces États sont à même de casser les prix européens. »

« Mais il y a aussi la possibilité pour les entreprises européennes de délocaliser au travers d’investissements, de monter des fabriques dans des États qui appliquent ce Right-to-Work et éviter, de cette façon, de devoir respecter toutes les normes du travail que nous avons en Europe  », a-t-il ajouté.

« C’est juste une nouvelle étape dans la course vers le bas. »

Jenkins a indiqué que la CES fait pression en faveur de l’inclusion d’une clause sociale et de mécanismes d’application dans le traité, dans l’espoir de créer ce qu’elle appelle un « accord d’excellence » qui contribuerait à « l’amélioration des conditions de vie et de travail des deux côtés de l’Atlantique et à l’établissement de sauvegardes contre toute tentative de recours au traité pour affaiblir les normes. »

L’American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO) concorde avec la CES sur le fait que les objectifs du TTIP devraient intégrer le plein emploi, le travail décent et de meilleures conditions de vie pour tous et qu’il ne devrait en aucun cas autoriser la déréglementation.

Hilary considère, pour sa part, qu’il n’y a « pas la moindre chance » de rehausser les normes à travers le traité.

« Il est absolument inconcevable de renverser sur sa tête un accord de libre-échange spécifiquement conçu pour affaiblir les normes et réduire les barrières commerciales, d’en faire quelque chose de bien pour les travailleurs  », a-t-il souligné.

« Le TTIP profite aux entreprises parce que c’est ça qu’il est censé faire mais cela ne veut pas dire, loin s’en faut, qu’il va procurer des avantages aux travailleurs. »

 

Cet article a été traduit de l'anglais.