Les peuples autochtones du Guatemala placent leurs derniers espoirs dans un président qui gouverne avec les mains liées

Les peuples autochtones du Guatemala placent leurs derniers espoirs dans un président qui gouverne avec les mains liées

Pendant 106 jours consécutifs, entre le 2 octobre et le 15 janvier de cette année, des milliers de manifestants autochtones, sous l’impulsion des « 48 cantons » de Totonicapán et de la municipalité autochtone de Sololá, se sont relayés afin d’occuper en permanence les abords du ministère public de la capitale guatémaltèque. La pression populaire a permis l’accession au pouvoir du nouveau gouvernement.

(Johan Ordóñez/AFP)

Les peuples autochtones ont joué un rôle déterminant dans l’accession au pouvoir de l’actuel président du Guatemala, Bernardo Arévalo. Ce sociologue de 67 ans, arrivé au second tour des élections de 2023 à la surprise générale pour finalement remporter le scrutin avec 58 % des voix, s’est présenté à la tête d’un parti émergent, le mouvement Semilla (« graine »), formé par des professionnels urbains ayant pour objectif de lutter contre la corruption, de défendre les droits humains et de renforcer l’État de droit dans le pays le plus peuplé d’Amérique centrale. Pour les classes les plus défavorisées et discriminées du pays, constituées en grande partie de membres des peuples autochtones du Guatemala (qui représentent 43,75 % de la population), M. Arévalo est la figure politique suscitant le plus d’espoir depuis de nombreuses années.

Pourtant, bien que largement plébiscité et élu démocratiquement, il a failli ne pas prêter serment, en raison de manœuvres judiciaires menées par un parquet national au service de ce que l’on appelle le « Pacte des corrompus », une alliance entre parlementaires accusés de délits, politiciens d’extrême droite et des membres de l’élite économique guatémaltèque et d’organisations de narcotrafiquants. À plusieurs reprises, la procureure générale du Guatemala, Consuelo Porras, a tenté d’annuler la victoire électorale de M. Arévalo en engageant de multiples procédures judiciaires à son encontre et à l’encontre de son parti.

Ces manœuvres, qui ont réussi à gêner et à retarder la prise de fonction, n’ont pas empêché M. Arévalo et sa vice-présidente, Karin Herrera, de prendre le contrôle de l’exécutif, et ce, en grande partie grâce aux peuples autochtones. Pendant 106 jours consécutifs, entre le 2 octobre et le 15 janvier de cette année, des milliers de manifestants autochtones, sous l’impulsion des « 48 cantons » de Totonicapán et de la municipalité autochtone de Sololá, se sont relayés afin d’occuper en permanence les abords du ministère public de la capitale guatémaltèque.

Forts du soutien des syndicats, des organisations paysannes, du mouvement Semilla lui-même et du parti autochtone de gauche Winaq (fondé par la chef de file autochtone, Rigoberta Menchú, lauréate du prix Nobel de la paix), les dirigeants autochtones ont appelé à une « grève nationale indéfinie » assortie de blocages de grande ampleur de la circulation, portés progressivement à 142 barrages routiers simultanés, paralysant ainsi tout le territoire du pays.

La pression populaire, à laquelle s’est ajouté un fort soutien diplomatique international en faveur du respect des résultats des élections, a finalement permis au nouveau gouvernement d’entrer en fonction. Cependant, près de huit mois se sont déjà écoulés depuis lors et la vigilance pleine d’espoir avec laquelle les peuples autochtones ont entamé l’année laisse déjà la place à la frustration. M. Arévalo a présenté une initiative législative visant à modifier les règles régissant le ministère public et à permettre au procureur général d’être destitué par le président, mais pour l’instant, Mme Porras reste à son poste et le mouvement Semilla reste légalement inhabilité par cette dernière (de sorte que ses partisans peuvent intégrer le gouvernement à titre individuel, mais ne disposent pas d’un groupe parlementaire propre au Congrès ni ne peuvent siéger dans les commissions de travail du pouvoir législatif). De ce fait, sa position à la chambre — où il représente la troisième force politique, avec 23 des 160 sièges — est encore plus artificiellement affaiblie.

Dans le même temps, dans la branche exécutive elle-même, il s’est vu obligé d’inclure des membres qui ne sont pas de son parti et il gouverne avec le ministère public et une partie du pouvoir judiciaire qui lui sont opposés et qui sont aux mains du « Pacte des corrompus ». Dans la pratique, M. Arévalo ne peut compter que sur ses ministres les plus fidèles, sa volonté politique et une marge de manœuvre réduite ; autant de paramètres complexes qui ne sont pas toujours compris par la population la plus pauvre et la plus vulnérable, qui voit s’éloigner son unique promesse de changement après des décennies voire des siècles de discrimination, d’oppression économique et de désespoir.

Déception chez les autochtones, qui se sentent ignorés

Parmi les principaux leaders populaires ayant coordonné les marches pour la défense de la démocratie figure la professeure Luz Emilia Ulario Zavala, maire autochtone de Santa Lucía Utatlán, dans le département de Sololá (sud-ouest), une fonction d’autorité traditionnelle semestrielle qu’elle a occupée jusqu’au 31 décembre de l’année dernière, date qui coïncide avec le point d’orgue du mouvement de protestation.

Six mois plus tard, elle estime que « la situation est plutôt difficile ». « Nous guettons l’espoir au loin, car le “Pacte des corrompus” n’a pas été dissous : au contraire, il s’est renforcé », explique Mme Ulario à Equal Times. « Nous sommes attentifs » aux démarches que M. Arévalo pourrait entreprendre, déclare-t-elle, « mais la population éprouve déjà un certain sentiment de désenchantement, du fait que le président n’a pas pris de personnes élues par le peuple pour assumer des postes afin de gouverner avec lui, de sorte que les peuples autochtones ne disposent d’aucun représentant au sein du gouvernement. Pas un seul. »

M. Arévalo a été le premier président de la démocratie guatémaltèque à mentionner les peuples autochtones dans son discours d’investiture, et ses subordonnés tiennent leur engagement de rencontrer chaque mois un groupe d’autorités autochtones, mais après une demi-douzaine de réunions, ils sont toujours embourbés dans des formalités « et beaucoup de bureaucratie », alors que « les besoins de ces populations sont bien connus, tout ce protocole n’est pas nécessaire », reproche Mme Ulario. Les autochtones sont très inquiets, car « les gens plaçaient tous leurs espoirs » en M. Arévalo, mais « la corruption est terrible à tous les niveaux du gouvernement, depuis les mairies jusqu’aux ministères, en passant par le Congrès ». Apporter des changements, ajoute-t-elle, « lui sera difficile, mais s’il parvient à rendre leur indépendance et leur autonomie aux trois branches du gouvernement, cela serait déjà suffisant ».

Par ailleurs, le mouvement Semilla « a été conçu au départ de la classe moyenne, et dans le plan de développement [du gouvernement qui met l’accent sur l’investissement dans les infrastructures fondamentales du pays, ce qui lui a permis de gagner le soutien des chambres de commerce], nous, les Mayas, les Garifunas, les Xincas, nous ne nous y retrouvons pas », et dans le parti, peut-être en raison d’une inertie « raciste » profondément ancrée dans la société, « je ne vois aucune volonté politique d’inclusion » des peuples autochtones.

« Je crois que le racisme persiste, parce qu’aujourd’hui, des professionnels issus des quatre groupes [Mayas, Xincas, Garifunas et Ladinos (métis)] sont juristes, politologues, médecins, administrateurs d’entreprise, il y a déjà des gens qui sont prêts à endosser des responsabilités, mais je pense qu’ils restent dans l’idée que le peuple est incapable de gouverner le pays ».

De plus, bien qu’elle voie dans le président un homme « humain », honnête et bien intentionné, Mme Ulario estime que ses conseillers et assistants, parfois hérités des gouvernements précédents, « ne l’orientent pas correctement » et entravent de l’intérieur sa relation avec les autochtones.

Tout pour le peuple, mais sans le peuple (autochtone)

« Nous sommes très conscients qu’il ne peut pas être le président des Mayas ou des Xincas uniquement », explique Mme Ulario, « il doit prendre en compte tout le monde, mais il devrait se montrer plus inclusif. Ce faisant, il aurait pu trouver le soutien des peuples [autochtones], comme ils le lui avaient témoigné avant qu’il ne prenne ses fonctions, mais il n’a pas su en profiter, et maintenant je ne pense pas qu’il puisse redorer son blason auprès de la population. En fin de compte, il pourrait se retrouver seul, car les gens ne sont pas dupes. »

Luis Linares, qui coordonne le pôle travail de l’Association pour la recherche et les études sociales (ASIES ou Asociación de Investigación y Estudios Sociales), comprend l’opinion de Mme Ulario. « La mobilisation des populations autochtones a été fondamentale pour faire échouer toutes les conspirations contre l’investiture de Bernardo Arévalo », indique-t-il, en s’étonnant que le nouveau gouvernement ait procédé à des « nominations de personnes liées au secteur des entreprises », mais non aux communautés autochtones.

« Il ne s’agit pas d’échanger des faveurs, mais je pense tout de même qu’il aurait dû demander aux peuples autochtones, à leurs dirigeants, qui étaient présents et à qui il a rendu visite le soir même de sa prise de fonction (et présageait d’une bonne relation), de lui proposer un éventuel ministère ou un poste pertinent », afin de rompre avec « l’anomalie que nous avons connue au Guatemala en termes d’absence de participation autochtone » dans la gestion politique. Seule l’actuelle ministre du Travail, Míriam Roquel (issue de l’orbite du parti Winaq), est d’origine ethnique maya quiché, sans toutefois être liée à des organisations autochtones.

« Le gouvernement rencontre des difficultés en matière de crédibilité », déclare M. Linares, « sur un chemin semé de nombreux obstacles et évoluant dans un cadre de corruption (gouvernementale) héritée, principalement dans les marchés publics », ce qui l’amène à penser que ses contacts mensuels avec les autochtones sont pour l’instant davantage « des mesures pour gagner du temps, pour pouvoir dire qu’ils dialoguent, mais sans le moindre résultat ».

En effet, bien que le Guatemala ait signé la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux (C169) de l’Organisation internationale du travail (OIT) en 1999, seuls des processus de consultation manipulés ont été mis en œuvre avec les peuples autochtones, avec des interlocuteurs souvent soumis aux intérêts du secteur des entreprises du pays, et sans mesures compensatoires correctement réglementées pour les communautés autochtones affectées par leurs activités, en particulier celles des compagnies de l’industrie extractive.

Du côté du gouvernement, la secrétaire particulière du président Arévalo, Ana Glenda Tager, reconnaît auprès d’Equal Times qu’« il est important de gérer les attentes de la population, car nous avons hérité d’un État profondément affaibli, sans ressources suffisantes et avec certains intérêts politiques et criminels ». En effet, « l’un des principaux défis que nous devons relever est de nettoyer les institutions publiques dans le cadre des règles du jeu démocratiques et de l’État de droit, tout en tentant de répondre aux besoins urgents des citoyens », assure-t-elle.

Ana Glenda Tager, sociologue et collaboratrice d’Arévalo avant d’entrer au gouvernement, a confirmé que parmi ces besoins figurent ceux des peuples autochtones, et qu’« à la suite d’une demande de l’Assemblée des Autorités Indigènes et Ancestrales, le président a institutionnalisé en mars une table de dialogue permanente avec les autorités indigènes de tout le pays ». Comme elle l’a expliqué, « pendant la première phase du gouvernement, le dialogue a été privilégié » avec elles, car elles sont « des acteurs politiques émergents qui jouissent d’une grande légitimité, étant directement élus dans les assemblées communautaires ». En effet, « nous travaillons à inclure d’autres voix représentatives des peuples autochtones dans différents espaces de dialogue », bien que la table déjà créée « ait pour but de traiter des priorités de développement des peuples autochtones et d’établir un dialogue franc pour entendre leur voix sur les grands thèmes nationaux ».

À cet égard, la secrétaire a réaffirmé que « le gouvernement est engagé à augmenter la représentation des peuples autochtones dans les institutions durant ses quatre années de mandat ». Après tout, son cabinet « a inclus la perspective des peuples autochtones dans les principes de sa Politique Générale de Gouvernement 2024–2027 », et « les besoins les plus urgents sont définis conjointement » pour rendre possibles « des actions à court, moyen et long terme ».

Le racisme et les inégalités sont une constante parmi les difficultés rencontrées. « Il existe des dynamiques d’exclusion généralisées », admet Mme Tager, «  mais il est important de prendre en compte les différences territoriales et de vision qui existent entre les différents peuples. Le président a signé des agendas de travail partagés avec les autorités ancestrales des territoires Ixil, Chortí et Xinka, et d’autres sont en préparation ».

Le gouvernement de M. Arévalo s’est engagé à dialoguer avec les organisations autochtones pour mettre en œuvre une politique de développement rural, bien que des questions d’inégalité en matière de répartition des richesses restent sur la table, avec des conséquences telles que « 47 % de malnutrition chronique chez les enfants de moins de cinq ans, qui dans les départements autochtones comme El Quiché et Huehuetenango, atteint 70 % ». Ce phénomène « marque une personne pour le reste de sa vie, en partant de ses propres capacités d’apprentissage », affirme M. Linares, ce qui est particulièrement grave pour « un pays qui dispose de conditions tout à fait adéquates pour la production alimentaire et qui souffre d’une malnutrition chronique comparable à celle de pays dévastés par la guerre, comme le Yémen ou le Timor-Oriental ».

Pour Julio Coj, dirigeant de l’Union syndicale des travailleurs guatémaltèques (UNSITRAGUA) et lui-même d’origine maya poqomam, la malnutrition infantile, la pauvreté, l’analphabétisme et le manque d’opportunités ne feront que rendre le pays de moins en moins compétitif.

« Je l’ai dit aux hommes d’affaires et je le dis à la ministre » du Travail, affirme-t-il à Equal Times : « Qu’attendez-vous ? Dans 15 ou 20 ans, ils ne disposeront plus de main-d’œuvre qualifiée. Tous ces enfants souffrant de malnutrition iront à l’école et n’obtiendront pas de bons résultats ».

Pendant ce temps, les infrastructures publiques, vieillissantes, insuffisantes et « gangrenées par la corruption » dans leur gestion, ont été maintenues en l’état parce que c’était dans l’intérêt des hommes d’affaires qui, s’ils acceptent aujourd’hui de s’entendre avec M. Arévalo, c’est « parce qu’ensuite viendra la privatisation et qu’ils s’empareront de toutes ces affaires : l’éducation, la santé, les aéroports, les ports, etc., qui passeront aux mains du privé, ce que M. Arévalo lui-même a déclaré devrait avoir lieu (pour moderniser le pays) ; une politique de partenariat public-privé, parce que l’État n’a pas la capacité économique de le faire, et en fin de compte, ceux qui en retirent les plus grands avantages, ce sont les hommes d’affaires ».

« C’est leur stratégie », explique-t-il. « Et même si ceux qui créent la richesse pour eux, à savoir les travailleurs, vivent dans des conditions de pauvreté telles qu’ils sont obligés d’émigrer, ils y voient une main-d’œuvre bon marché. Dans le même temps, l’économie informelle représente 74 % des emplois » alors que parmi les travailleurs restants, affiliés à la Sécurité sociale, seuls 13 % sont autochtones.

Ces travailleurs sont confrontés à un gouvernement dont « la volonté politique est présente », précise-t-il, mais qui fait face à tant de limites que l’on pourrait se féliciter qu’il arrive au moins à garantir le respect de la législation guatémaltèque en matière de travail, d’organisation syndicale et de protection sociale au cours de ces quatre années de gouvernement de M. Arévalo, dans un pays où le mandat présidentiel est limité à une seule législature.

Mieux vaut avoir un ami à la barre, même s’il est pieds et poings liés

Néanmoins, il faut garder à l’esprit que « le gouvernement de M. Arévalo est différent » des précédents et que « lutter à contre-courant est assez difficile », souligne à Equal Times Luis Cortez, secrétaire général de la Centrale générale des travailleurs du Guatemala (CGTG). De ce point de vue, pour les autochtones en particulier, et les travailleurs en général, ce n’est pas la même chose d’avoir en face d’eux un allié du « Pacte des corrompus » que d’avoir un président ami, même s’il est pieds et poings liés.

« Maintenant, au moins, nous savons que nous avons un ami dans cette position, même si ses résultats ne sont pas à la hauteur de nos espérances, parce que le seul pouvoir dont il dispose est le pouvoir exécutif », le reste de l’État s’opposant à lui. « Nous comprenons la situation du pays : c’est le système qui est corrompu, la structure en place est gangrenée par la corruption et vous pouvez arriver avec toutes les meilleures intentions du monde, puis ils vous asseyent, ils vous posent des conditions et vous disent “soit vous passez par ici, soit nous vous dénonçons au Parquet et vous allez en prison” ».

C’est pourquoi, affirme-t-il, dans ses négociations avec le gouvernement et l’OIT en vue de travailler sur une Feuille de route, initiée en 2013 avec de nombreux obstacles internes et visant à mettre fin à la violence contre les syndicats et les travailleurs et à garantir les droits et libertés du travail, les syndicats ont accordé à M. Arévalo une période de confiance jusqu’en février 2025 pour pouvoir faire les premiers pas dans cette direction. « Nombreux sont ceux qui s’impatientent, mais ma réponse a toujours été de dire “camarades, écoutez, tout cela ne va pas être réglé en quatre mois, vous devez faire preuve de patience, vous devez y croire et avoir confiance, parce qu’au moins nous sommes en présence d’un gouvernement qui est arrivé au pouvoir et qui n’est pas le même que ceux qui l’ont précédé” ».

Nous évoquons un pays au taux de criminalité élevé (16,7 homicides pour 100.000 habitants en 2023, selon l’ONU), qui figure parmi les 10 pires pays du monde pour les travailleurs, selon la Confédération syndicale internationale (CSI), et où deux dirigeants syndicaux ont encore été assassinés il y a à peine un mois et demi, sans compter deux autres morts récentes de « défenseurs des peuples autochtones : un avocat et un membre du Comité d’unité paysanne (CUC) », rappelle M. Cortez.

Tout cela vise à « semer la terreur et le désespoir », souligne-t-il, et à faire croire que « le président ne fait rien ». C’est pourquoi il espère qu’il n’y aura plus de morts parmi les défenseurs de la nature, des peuples autochtones et des droits du travail, même si « nous savons qu’en quatre ans, il ne sera pas possible d’arranger grand-chose », car « des hommes d’affaires et des municipalités sont impliqués, et ce sont eux qui violent le plus les droits des travailleurs », par le biais de licenciements massifs réguliers en toute impunité de membres de syndicats. Or, réaffirme-t-il, « ce n’est qu’à travers l’organisation syndicale que le respect des droits du travail a été imposé ».

« Le mouvement syndical guatémaltèque entretient à la fois l’espoir et le scepticisme quant à la capacité du gouvernement actuel à opérer des changements significatifs en faveur des droits du travail, de la liberté d’association et du salaire minimum », explique à Equal Times Rafael Segura, secrétaire organisateur de la Confédération de l’unité syndicale du Guatemala (CUSG).

Bien qu’il soit possible d’« envisager avec optimisme » l’opportunité que représente M. Arévalo, il existe également un « scepticisme dû à la relation historique entre le monde des entreprises du pays et les gouvernements guatémaltèques au pouvoir ». M. Coj partage ces deux avis : certaines manœuvres politiques « boycottent » M. Arévalo, notamment les récentes expropriations judiciaires forcées, et provocatrices, de populations autochtones, afin de semer la désillusion vis-à-vis du pouvoir exécutif, « comme pour prouver que le gouvernement pour lequel le peuple a voté n’était pas le bon et que, lors des prochaines élections, le peuple ne votera plus pour [le mouvement] Semilla. Une population marquée par un très fort taux d’analphabétisme et par une pauvreté et des besoins considérables veut des réponses immédiates », déplore M. Coj, « mais cela ne sera pas facile à obtenir, car nous sommes confrontés à une oligarchie très forte et à un patronat très conservateur, en particulier dans le secteur agroalimentaire. Le pouvoir exécutif n’a donc pas eu d’autre choix que de s’allier à eux, sinon il ne resterait même pas un an au gouvernement ».

Au moins, le racisme dont souffrent les autochtones dans la société ne se reflète pas autant dans les syndicats, s’accordent à dire les personnes interrogées, mais il reste encore beaucoup de progrès à faire. De nombreux syndicalistes autochtones cachent leur origine, s’habillent comme la population ladino et évitent même de mentionner leur nom de famille pour ne pas se sentir exclus, avoue M. Coj, bien que ce ne soit pas son cas. Il est « encore nécessaire de promouvoir activement leur participation aux rôles dirigeants des syndicats », ainsi que de soutenir leur développement « par des programmes de formation et de renforcement des capacités adaptés à leurs besoins spécifiques, et de créer un environnement syndical inclusif qui valorise la diversité culturelle », reconnaît M. Segura.

« Nous souffrons d’exclusion, de discrimination et de racisme depuis 1492 », déclare Mme Ulario Zavala, la maire autochtone de Sololá. « Nous avons toujours été des esclaves d’une manière ou d’une autre, nous avons été invisibilisés, nous avons été exclus en toutes choses, et nous continuons à l’être. Cette fois-ci, l’élément déclencheur a été la lucidité des gens face à l’arrogance de ceux qui manipulaient leurs votes et c’est à ce moment-là que les gens se sont battus pour que leur vote soit respecté ».

Les peuples autochtones, malgré un taux d’analphabétisme plus élevé, sont des professionnels très dignes et, conclut Mme Ulario, ils sont « conscients de tous les maux » dont ils ont été victimes, d’où leur démonstration de force d’il y a quelques mois : « pas uniquement à cause des votes, mais à cause du cumul de tout ce qu’ils ont enduré pendant plus de 532 ans ».

Mme Tager, secrétaire du président Arévalo, assure que son gouvernement ne perd pas cela de vue : « Nous savons que 500 ans d’exclusion ne se résoudront pas en quatre ans, mais nous sommes déterminés à poser les bases d’un nouveau modèle de relations entre l’État et les peuples autochtones. » Et c’est là que réside le véritable espoir de M. Coj : « le jour où les gens comprendront que ce n’est qu’en étant organisés et unis que nous pourrons lutter pour que les lois soient appliquées, ce jour-là, le Guatemala pourra changer », assure-t-il. « Aucun gouvernement ne pourra changer [les choses] seul, automatiquement, s’il n’est pas soutenu par des populations organisées, qui descendent dans la rue pour lutter et qui formulent des propositions politiques ».

Cet article a été traduit de l'espagnol.